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 C est probablement que vous n aviez pas sommeil », ré-
pondit tranquillement Peyrol dont la pensée restait fixée fort
loin de là sur le navire anglais. Son Sil intérieur se représentait
la silhouette noire de la corvette se découpant sur la grève blan-
che des Salins, dont la courbe étincelait sous la lune ; cependant
il poursuivit lentement : « Car ce ne peut pas être le bruit qui
vous a empêché de dormir. » Sur le terre-plein d Escampobar,
déjà les ombres s allongeaient sur le sol, tandis que le flanc de la
colline de guet demeurait sombre encore, mais bordé d une
lueur croissante. Et la douceur de cette paix était telle qu elle
adoucit un moment l attitude intérieure de dureté qu avait
Peyrol à l endroit de l humanité en général, y compris le com-
mandant du navire anglais. Au milieu de ses préoccupations, le
vieux flibustier savoura ce moment de sérénité.
« C est un endroit maudit ! » déclara soudain Scevola.
Sans même tourner la tête, Peyrol lui jeta un regard de cô-
té. Bien qu il se fût redressé assez rapidement de sa position
tre têtes et quatre bras, et une statue d Aripacan-Maiijuru, au Bengale,
trois têtes et six bras. Un nombre impair de bras serait plus insolite.
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allongée, le citoyen semblait tout avachi : il était assis, ramassé
sur lui-même, les épaules arrondies, les mains sur les genoux.
Avec son regard fixe, il avait, dans le clair de lune, l air d un en-
fant malade.
« C est un endroit fait à souhait pour fomenter des trahi-
sons. On s y sent plongé jusqu au cou. »
Il frissonna et poussa un long et irrésistible bâillement ner-
veux qui fit luire, dans une bouche rétractée91 et béante, de lon-
gues canines inattendues, qui révélaient l inquiète panthère ta-
pie dans l homme.
« Oui, il y a bien de la trahison dans l air. Vous ne concevez
pas ça, citoyen ?
 Assurément non », déclara Peyrol avec un mépris serein.
« Quelle trahison complotez-vous donc ? » ajouta-t-il négli-
gemment sur le ton de la conversation tout en savourant le
charme du soir au clair de lune.
Scevola, si éloigné qu il fût de s attendre à cette réplique,
n en réussit pas moins à émettre presque aussitôt une sorte de
rire grinçant.
« Elle est bien bonne ! Ha, ha, ha !& moi !& comploter&
pourquoi moi ?
 Ma foi ! fit tranquillement Peyrol, nous ne sommes pas si
nombreux ici à pouvoir fomenter des trahisons. Les femmes
sont montées se coucher : Michel est en bas sur la tartane. Il y a
91
Le mot retracted employé ici est rare en anglais, surtout en ce
sens, mais il se rencontre plusieurs fois dans Victoire quand l auteur dé-
crit Ricardo.
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moi, et vous n oseriez tout de même pas me soupçonner de tra-
hison. Alors ? Il ne reste guère que VOUS. »
Scevola se secoua. « Ce n est pas là une plaisanterie. J ai
fait la chasse à la trahison, moi. Je& »
Il se calma. Il était en proie à des soupçons sentimentaux.
Peyrol évidemment ne lui parlait ainsi que pour l irriter et se
débarrasser de lui ; mais dans l état particulier de ses senti-
ments, Scevola avait une conscience aiguë de chaque syllabe de
ces remarques offensantes. « Ah ! pensa-t-il, il n a pas mention-
né le lieutenant. » Cette omission parut au patriote d une im-
mense importance. Si Peyrol n avait pas mentionné le lieute-
nant, c est qu ils avaient tous deux ensemble comploté quelque
trahison, tout l après-midi à bord de cette tartane. C est pour-
quoi on ne les avait vus ni l un ni l autre de presque toute la
journée. En fait, Scevola avait, lui aussi, vu Peyrol revenir à la
ferme dans la soirée, seulement il l avait vu d une autre fenêtre
qu Arlette. C était quelques minutes avant qu il n essayât d ou-
vrir la porte du lieutenant, pour voir si Réal était dans sa cham-
bre. Il s était à regret éloigné sur la pointe des pieds, et en en-
trant dans la cuisine il n y avait trouvé que Catherine et Peyrol.
Aussitôt qu Arlette les eut rejoints, une inspiration soudaine le
fit monter en hâte mettre de nouveau la porte à l épreuve. Elle
était ouverte à présent ! Preuve évidente que c était Arlette qui
s y était enfermée. En découvrant qu elle entrait ainsi dans la
chambre du lieutenant comme chez elle, Scevola reçut un choc
si douloureux qu il pensa en mourir. Il était maintenant hors de
doute que le lieutenant avait passé son temps à conspirer avec
Peyrol à bord de cette tartane ; qu auraient-ils pu aller y faire
d autre ? « Mais pourquoi Réal n était-il pas remonté ce soir
avec Peyrol ? » se demandait Scevola, assis sur le banc, les
mains jointes serrées entre ses genoux& « C est une ruse de leur
part », conclut-il soudainement. « Les conspirateurs évitent
toujours de se faire voir ensemble. Ah ! »
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Ce fut comme si quelqu un lui avait allumé un feu d artifice
dans le cerveau. Il en fut illuminé, ébloui, confondu, il en eut un
sifflement dans les oreilles et des gerbes d étincelles devant les
yeux. Quand il leva la tête, il vit qu il était seul. Peyrol avait dis-
paru. Scevola crut se rappeler avoir entendu quelqu un pronon-
cer les mots : « Bonne nuit » et la porte de la salle claquer. Et,
en effet, la porte de la salle était maintenant fermée. Une lueur
blafarde brillait à la fenêtre la plus proche de cette porte. Peyrol
avait éteint trois des becs de la lampe et était maintenant étendu
sur l une des longues tables, avec cette faculté de s accommoder
d une planche qu un vieux loup de mer ne perd jamais. Il avait
décidé de rester en bas simplement pour être plus accessible et
il ne s était pas allongé sur l un des bancs le long du mur parce
qu ils étaient trop étroits. Il avait laissé l une des mèches allu-
mée pour que le lieutenant sût où le trouver, et il était assez fa-
tigué pour penser qu il pourrait dormir une heure ou deux avant
que Réal ne revînt de Toulon. Il s installa, un bras sous la tête,
comme s il était sur le pont d un corsaire et il était loin de pen-
ser que Scevola regardait à travers les vitres ; mais elles étaient
si petites et si poussiéreuses que le patriote ne put rien distin-
guer. Ç avait été de sa part un mouvement purement instinctif.
Il n eut même pas conscience d avoir regardé à l intérieur. Il
s éloigna, alla jusqu au bout du mur de la maison, revint sur ses
pas, marcha de nouveau jusqu à l autre bout : on eût dit qu il
avait peur de dépasser ce mur contre lequel il chancelait par
moments. « Conspiration, conspiration ! » se disait-il. Il était
maintenant absolument certain que le lieutenant se cachait en-
core sur cette tartane et attendait seulement que tout fût tran-
quille pour se glisser jusqu à sa chambre où Scevola avait la
preuve formelle qu Arlette était habituée à se sentir comme chez
elle. Le dépouiller de ses droits à lui sur Arlette était évidem-
ment une partie du complot.
« Ai-je été l esclave de ces deux femmes, ai-je attendu tou-
tes ces années pour voir cette créature corrompue s enfuir
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ignominieusement avec un ci-devant, avec un conspirateur aris-
tocrate ? »
Sa vertueuse indignation lui donnait le vertige.
Les preuves étaient suffisantes pour qu un tribunal révolu-
tionnaire leur fît couper la tête à tous. Un tribunal ! il n y avait [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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